Marine Simon finit sa thèse Cifre en Histoire au Parc naturel régional (PNR) des boucles de la Seine normande où elle travaille depuis 2016 sur l'identité, les origines et la reconversion de ce territoire industriel.
Qu'est-ce qu'un Parc Naturel Régional ?
Un Parc Naturel Régional (PNR) est un territoire dont les paysages, les milieux naturels et le patrimoine culturel sont de grande qualité mais dont l’équilibre est fragile. Il est structuré en syndicat mixte qui réunit a minima le Conseil Régional et les communes du territoire. Il existe 54 PNR en France.
Pourquoi le PNR des boucles de la Seine normande a-t-il embauché une doctorante Cifre ?
Le PNR des boucles de la Seine normande réunit plus de 100 000 habitants sur près de 90 000 hectares qui s'étendent des portes de Rouen aux portes du Havre. Il a été créé dans les années 1970 sur une zone qui présentait une vraie richesse naturelle et paysagère, également caractérisée par une très forte industrialisation, elle-même en pleine transformation.
Comment cette industrie et ses usines ont-elles réussi à façonner un espace géographique et les mentalités de ce territoire anciennement rural ? Le choix a été fait d'une étude historique pour identifier et mettre en évidence un patrimoine matériel et immatériel, en lien avec la mission du PNR de conservation du patrimoine culturel et paysager. Un autres des objectifs de ce travail était de permettre aux élus du Parc de mieux comprendre et connaître le territoire, et de passer ce savoir aux habitants également, par des actions de médiation culturelle par exemple.
Comment s'est passée votre embauche au Parc ?
Au terme du Master en Histoire contemporaine, j'ai pu échanger avec le directeur de mémoire et lui fait part de mon goût pour la recherche. De son côté, le PNR le contactait avec ce projet de travail sur l'histoire industrielle du parc. J'ai envoyé mon CV et on a pu rapidement tous se rencontrer.
Le PNR avait déjà identifié trois bassins industriels sur son territoire : un groupement de cinq communes et deux villes, isolées. Le premier a retenu notre attention car la principale usine de cette zone disposait d'archives déjà triées et numérisées, ressource précieuse pour les historiens. Aussi, ce territoire a été industrialisé durant le XXe siècle, laissant donc de nombreux témoins encore vivants. Enfin, il a semblé plus enthousiasmant de faire travailler plusieurs communes ensemble afin de créer une sorte d’effervescence autour de la thèse.
À quoi ressemble les journées d'une doctorante Cifre en Histoire ?
Le quotidien n'est pas si différent de celui d'une autre forme de thèse. On débute par une étude bibliographique pendant laquelle on passe beaucoup de temps à lire. Ensuite, on prépare son travail d'enquête, on mène les entretiens et on analyse pendant plusieurs mois le matériau récupéré. Dans mon cas et parce que je m'intéresse à l'histoire orale, j'ai interrogé une cinquantaine de personnes qui ont travaillé dans l'industrie, avec une stagiaire recrutée pour m'aider. Ça m'a permis de leur poser des questions auxquelles je ne trouvais pas de réponse dans les sources écrites : d'où venaient ces personnes ? Est-ce qu'elles avaient aimé travailler dans l'industrie ? Quelles étaient les conditions de travail ? En retraçant toutes ces trajectoires individuelles, la question sous-jacente était de savoir s’il existait une trajectoire et une identité commune à ces travailleurs et travailleuses.
Ce qui change par rapport à une thèse exclusivement réalisée à l'université c'est d'abord l'environnement, c'est-à-dire que mes collègues n'étaient pas des universitaires mais des ornithologues, botanistes, urbanistes, paysagistes… J’ai eu également à ma charge des actions de médiation et de valorisation de ma recherche et notamment la rédaction d’un ouvrage historique destiné au grand public. J’ai aussi eu la chance de pouvoir organiser un colloque universitaire international sur la 2e Révolution Industrielle dont les actes sont en cours de publication sur le territoire même de mon étude. Dans les deux cas, les thématiques n’étaient pas définies avant mon arrivée au Parc, les projets ont pu évoluer au gré des avancées de ma recherche. L'ouvrage par exemple a porté sur les identités des travailleurs de l’industrie en se basant essentiellement sur les témoignages que j’avais pu récupérer au cours des entretiens menés – initialement – pour nourrir ma thèse. Pour faire le lien entre passé et présent, le livre a été co-écrit avec Loïc Seron, photographe rouennais qui a réalisé une longue campagne photographique sur une année dans plus de trente usines du département de Seine Maritime.
Vous travaillez maintenant pour une des communes adhérentes du Parc, allez-vous poursuivre votre carrière dans la fonction publique territoriale ?
Le financement Cifre a pris fin il y a quelques mois, avant que je n'aie pu rédiger mon manuscrit et une des communes avec laquelle j'avais travaillé pendant mon poste au Parc cherchait quelqu'un pour s'occuper de la valorisation de leur Voie verte. J'ai donc accepté une courte mission dans cette Ville, d'ailleurs pas tant pour financer la fin de ma thèse que parce que je ne voulais pas m'arrêter de travailler brusquement et que la mission m'intéressait. C'est aussi l'exemple d'un des vrais avantages de la thèse Cifre : j'ai pu tisser des liens avec les collectivités et découvrir le milieu muséal et culturel du territoire.
Pour la suite, j'envisage de faire un post-doc au Canada etde poursuivre dans le milieu académique sans pour autant être aussi certaine de vouloir mener une carrière d'enseignant-chercheur qu'au début de ma thèse. J'ai donné des cours de TD pendant ma thèse et veux continuer à le faire mais pour les postes de maîtres de conférences que je pourrais viser, les profils CAPES et Agreg' sont privilégiés, ce qui n'est pas mon cas. Surtout au Parc, j’ai appris à travailler dans la pluridisciplinarité, ce qui m’a vraiment plu. Dans le conseil scientifique du Parc, qui a régulièrement suivi mon travail, j’ai pu échanger avec des géographes, économistes et écologues. Ils ont permis d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche tout au long de mon travail de thèse. J'ai envie d'explorer si, à l'étranger, le monde universitaire peut aussi offrir cette richesse.
Pour aller plus loin : Marine Simon et Loïc Seron (2017), Usines en bord de Seine : portrait d'un territoire en mouvement, Ed. Octopus